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La croissance et l’inflation contre la dette

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La question de la dette publique est l’objet de confusions importantes. En réalité, elle tourne toute entière autour de la question de la croissance nominale (croissance réelle + taux d’inflation) et non pas de celle de la pression fiscale. La question de la pression fiscale est importante pour déterminer le niveau de déficit budgétaire qui pourrait être acceptable.

Dette et croissance nominale

La formule utilisée pour mesurer le poids de la dette ou Dette/PIB contient déjà une confusion. Elle compare un stock (la dette) à un flux, la richesse crée dans une période de référence (ici une année) et mesurée par le PIB (somme des valeurs ajoutées). Une mesure plus cohérente consisterait à comparer la dette au stock des immobilisations et du capital (infrastructures) que possède l’État. Ce stock est largement supérieur à la valeur annuelle du PIB. Si nous conservons la formule Dette/PIB, qui est une formule en analyse statique, la formule en dynamique (dérivée) s’écrit Déficit Budgétaire/Croissance Nominale du PIB.

Le déficit budgétaire (numérateur) étant mesuré aux prix courants, il faut, bien sûr, que le dénominateur le soit aussi. On rappelle que la croissance nominale est le produit de la croissance en termes réels du PIB par le taux d’inflation. Le niveau de la croissance nominale dépend donc de ce que l’on appelle la « croissance » (en réalité la croissance en termes réels du PIB) et le niveau du taux d’inflation. Le niveau du taux d’inflation acceptable dépend de la compétitivité de la France par rapport à ses principaux concurrents. Nous noterons (f) les grandeurs relatives à la France et (c) celles qui sont relatives aux pays concurrents. La compétitivité est, toutes choses égales par ailleurs, mesurée ici par l’écart d’inflation (If/Ic) que divise la croissance comparée de la productivité du travail entre la France et les pays concurrents (Prodf /Prodc).

On a donc une limite fixée par les gains de productivité. Si la France avait des gains très forts par rapport à ceux des pays concurrents, elle pourrait se permettre d’avoir une inflation également supérieure dans la même proportion. Quand ce n’est pas le cas, le taux d’inflation potentiel est limité par la compétitivité. Mais, nous avons raisonné jusqu’à cet instant avec des taux de change fixes. Quand un pays (comme le Japon) provoque une dépréciation de sa monnaie par rapport à l’Euro, ceci équivaut à un gain en productivité apparent, et le niveau d’inflation que pourrait se permettre le Japon en est naturellement augmenté.

Si nous raisonnons désormais en considérant que la France récupère sa souveraineté monétaire, une dévaluation du Franc par rapport aux monnaies des pays qui sont nos concurrents permettrait d’avoir un taux d’inflation supérieur à celui de ces pays.

Le niveau d’inflation naturel de la France

On a publié un « working paper » sur ce sujet en juin 20121. On y démontre que dans TOUTES les inflations il y a une composante monétaire et une composante réelle, que l’on appelle le taux d’inflation « naturel ». Les déterminants de cette inflation « réelle » sont à rechercher dans les structures économiques. Ces déterminants se décomposent en facteurs « structurels-techniques », en facteurs « institutionnels » et en facteurs « sociaux » (voir le tableau 1). L’un des principaux résultats démontrés était que toute politique visant à ramener l’inflation à 0 aurait un effet d’autant plus délétère sur la croissance économique que l’inflation « naturelle » de cette économie serait élevée.

Tableau 1

 

Dans le cas de la France, les facteurs dits « structurels-techniques » jouent un rôle évident, de même que certains des facteurs sociaux. Il est donc logique que le taux d’inflation en France soit plus élevé que dans certains des pays voisins. Les économistes de la BCE ont longtemps affirmé que le meilleur taux d’inflation était celui le plus bas possible. Ils ont fondé cet objectif sur l’affirmation que les agents économiques n’étaient nullement sensible à l’illusion nominale. En d’autres termes que les agents étaient pleinement conscients des modifications présentes et à venir des prix de tous les produits et de tous les actifs, et qu’ils déterminaient leur attitude par rapport à leur richesse réelle. Rappelons que c’était la même hypothèse que l’un des pères théoriques de l’Euro, Mundell, avait lui-même mobilisée. Dans le milieu des années 1990, George Akerlof et les chercheurs de la Brookings Institution aux États-Unis ont montré la persistance de cette illusion nominale pourtant tant décriée dans les écrits monétaristes2. Ceci les avait conduits à admettre qu’une certaine inflation était nécessaire au développement économique. Ils ont déduit que l’importance des rigidités issues du secteur réel et des institutions économiques avait des conséquences importantes sur le taux d’inflation. Ces rigidités traduisent l’individualité de la trajectoire sociale et historique de chaque pays3. Or, on constate que même avec une politique monétaire uniforme (mise en place par la BCE), les différences de taux d’inflation entre pays de la zone Euro ne sont pas négligeables.

Tableau 2

 

Source : OCDE via J. Sapir, Faut-il sortir de l’Euro, Le Seuil, Paris, 2012.

Une étude réalisée des dynamiques de l’inflation dans les pays de la zone Euro revêt ici d’une importance particulière4. Le travail de Christian Conrad et Menelaos Karanasos datant de 2004 démontre deux résultats essentiels. Tout d’abord, il n’y a pas de dynamique unique de l’inflation au sein de la zone Euro et celle-ci n’influence pas toujours négativement la croissance économique. On est en présence de dynamiques différenciées, et dans certains cas, l’inflation apparaît bien comme nécessaire à la croissance. Ensuite, leur travail montre que l’hétérogénéité des systèmes productifs et des structures sociales se reflète dans les dynamiques monétaires. La monnaie est un miroir, voire une lentille grossissante, des dynamiques du monde réel. On est donc en mesure de penser qu’un taux d’inflation correspondant à ce que l’on a appelé l’inflation « naturelle », c’est à dire un taux ne pénalisant pas la croissance et correspondant à la croissance potentielle maximale (avec un « écart de croissance » ou output gap nul), serait pour la France de l’ordre de 3%, et ceci sans choc inflationniste exogène.

Les facteurs de croissance

Il faut maintenant déterminer quels sont les facteurs jouant le plus sur la croissance. L’investissement, en capital fixe, en infrastructures, mais aussi en éducation, détermine globalement la croissance maximale potentielle. La croissance est aussi sensible, on le sait, à une surévaluation ou à une dévaluation de la monnaie par rapport aux monnaies des pays concurrents (effet de compétitivité). Elle est enfin liée à court terme au développement de la demande tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur. Mais, ces différents facteurs sont interdépendants. Une sous-évaluation de la monnaie et un développement de la demande interne vont accroître le niveau des investissements, ce qui va se traduire après un certain délai par un accroissement du potentiel de croissance à long terme. Inversement, si la demande se contracte et si le taux de change est surévalué sur une période relativement longue, ceci va entraîner une baisse des investissements et donc une baisse de la croissance potentielle. C’est d’ailleurs ce que l’on observe en Espagne, en Italie et en France actuellement. Les facteurs sur lesquels on peut agir immédiatement sont la valeur de la monnaie et la demande. Différentes études faites en particulier à l’INSEE montrent qu’une variation de 10% du taux de change (ici le taux de change de l’Euro) entraîne une fluctuation de sens inverse de la croissance réelle de 0,6% la première année et de 1,2% la seconde année. On a tendance à considérer qu’aujourd’hui ces chiffres sont même sous-estimés car la demande interne est relativement déprimée, ce qui accroît l’importance potentielle de la demande externe (les exportations).

Si l’on suppose, dans le cadre d’une sortie de l’Euro, une dévaluation de 20% en termes réels du Franc, ceci implique une croissance supplémentaire de 1,2% la première année et de 2,4% la seconde année. Mais, la dévaluation impose aussi un choc inflationniste, que l’on peut estimer, à ce niveau de dévaluation de 5% la première année et de 3% la deuxième année. Le gain de compétitivité ainsi enregistré peut être maintenu, si la Banque de France adopte une politique de ciblage d’un taux de change de référence. Mais, pour à cette fin, des contrôles de capitaux seront certainement nécessaires.

Mouvements de la dette en simulation

On va comparer ici les trajectoires de la dette suivant d’une part les hypothèses du gouvernement et d’autre part en prenant l’hypothèse d’une sortie de l’Euro. Dans l’hypothèse H1, on suppose donc une sortie de l’Euro, accompagnée d’une dévaluation de 28%. L’impact de cette dévaluation sur la dette sera limité au 14% de cette dernière qui sont sous contrats de droit étranger. Le déficit est estimé à 3,7% du PIB la première année, à 3,5% les deux années suivantes, et à 3% pour le reste de la période. La croissance réelle est estimée à +1,2% la première année, + 2,4% la seconde année et se maintient à 2% pour les années suivantes. Ceci est probablement pessimiste, car cela sous-estime l’impact du choc de compétitivité sur l’économie française. On adopte alors une hypothèse H1’ qui tient compte d’un effet positif plus important de la dévaluation sur la croissance et un taux de croissance résiduel de 2,3% en fin de période. Le taux d’inflation est quant à lui supposé constant à 3% l’an (taux naturel) auquel on ajoute un choc de 5% la première année et de 3% la deuxième année pour tenir compte des effets de la dévaluation. On suppose que la Banque de France laisse glisser d’environ 2% l’an la valeur du Franc au bout de deux ans pour maintenir l’effet positif de la dévaluation.

Dans l’hypothèse H0, le déficit progresse de 3,7% la première année, de 3,5% les deux années suivantes et se stabilise à 3% du PIB pour la suite. La croissance est nulle la première année (ce qui semble aujourd’hui optimiste), puis elle est égale à 0,5% les trois années suivantes, et à 1% pour le reste de la période. Le taux d’inflation est de 1,4% par an ce qui correspond à la moyenne sur la période 2007-2011. Sous cette hypothèse, l’endettement de la France continue d’augmenter.

On constate alors sur le graphique 1 la divergence des trajectoires. Celle qui correspond aux hypothèses du gouvernement s’avère incapable de freiner le mouvement de la dette. Tout au plus est-il ralentit. Les hypothèses H1 et H1’ permettent d’envisager sur 10 ans une décroissance du poids de la dette relatif au PIB, et ceci sans faire d’hypothèses particulières sur la grandeur du déficit.

Graphique 1

 

L’évolution du déficit budgétaire

On a constaté qu’il était possible d’aboutir à une décroissance de la dette exprimée en pourcentage du PIB sans mobiliser de nouvelles hypothèses sur le déficit budgétaire et en se gardant donc d’appliquer à la France un choc fiscal trop fort. Mais, si l’on observe les recettes, dépenses et abattements fiscaux et para-fiscaux on constate alors que :

  • (i) On compte près de 75 milliards (3,75% du PIB) en « niches fiscales » diverses. Un certain nombre d’entre elles sont liées à la nécessité pour la France de combler son écart de compétitivité avec les autres pays. Dans le cas d’une forte dévaluation, une partie de ces niches fiscales devient superflue. Le gain estimé est de 25 milliards d’euros (budget 2012) soit de 1,25% du PIB.
  • (ii) La croissance implique mécaniquement une hausse des recettes fiscales (via en particulier la TVA). L’écart entre la croissance dans l’hypothèse H0 et l’hypothèse H1 est en moyenne de 1,5 points de PIB pour les 4 premières années et de 1 point pour les années suivantes. Cela implique un gain de 0,67 points de PIB en recettes supplémentaires les 4 premières années et de 0,45 points de PIB pour les années suivantes.
  • (iii) Avec le retour à une croissance supérieure à 1,5%, ce qui est simulé dans les trajectoires H1 et H1’, on observe une décrue du chômage, et donc une baisse des charges liées aux assurances chômage. La récupération de ces charges par les entreprises et les salariés pourrait être équivalente à 0,2% de croissance supplémentaire à partir de la troisième année

On aboutit donc dans le cadre de l’hypothèse H1 à une croissance supplémentaire et à des recettes de 1,92 points de PIB pour les quatre premières années et de 1,7 points pour les années suivantes. Si l’on reporte ces avantages sur la trajectoire H1, en appelant H2 la nouvelle trajectoire, on constate une baisse bien plus forte du poids de la dette publique.

Graphique 2

 

 Conclusion

Il n’est nullement besoin de faire des hypothèses extrêmes du point de vue des recettes et des dépenses fiscales pour obtenir une baisse du poids de la dette publique. La variable principale est la croissance nominale. De ce point de vue, une sortie de l’Euro accompagnée par une forte dévaluation donnent déjà des résultats importants. Quand on reporte dans cette hypothèse l’effet fiscal de la croissance retrouvée, en supposant des ajustements à la marge (1/3 des « niches fiscales »), les effets sont, bien entendu, démultipliés. On peut ainsi faire baisser la dette publique en dessous des 65% du PIB sans exiger des sacrifices supplémentaires aux contribuables et en diminuant le chômage.

Citation

Jacques Sapir, “La croissance et l’inflation contre la dette”, billet publié sur le carnet Russeurope le 10/02/2013, URL: http://russeurope.hypotheses.org/855

 

  1. Jacques Sapir, Inflation monétaire ou inflation structurelle ? Un modèle hétérodoxe bi-sectoriel, FMSH-WP-2012-14, juin 2012. URL : http://russeurope.hypotheses.org/61
  2. G. A. Akerlof, W. T. Dickens et G. L. Perry, “The Macroeconomics of Low Inflation” in Brookings Papers on Economic Activity, n°1/1996, pp. 1-59.
  3. B. C. Greenwald et J. E. Stiglitz, “Toward a Theory of Rigidities” in American Economic Review, vol. 79, n°2, 1989, Papers and Proceedings, pp. 364-369. J.E. Stiglitz, “Toward a general Theory of Wage and Price Rigidities and Economic Fluctuations” in American Economic Review, vol. 79, n°2, 1989, Papers and Proceedings, pp. 75-80.
  4. C. Conrad et M. Karanasos, “Dual Long Memory in Inflation Dynamics Across Countries of the Euro Area and the Link between InflationUncertainty and Macroeconomic Performance”, Studies in Nonlinear Dynamics & Econometrics, vol. 9, n°4, nov. 2005 (publié par The Berkeley Electronic Press et consultable sur http://www.bepress.com/snde )

Jacques Sapir

Ses travaux de chercheur se sont orientés dans trois dimensions, l’étude de l’économie russe et de la transition, l’analyse des crises financières et des recherches théoriques sur les institutions économiques et les interactions entre les comportements individuels. Il a poursuivi ses recherches à partir de 2000 sur les interactions entre les régimes de change, la structuration des systèmes financiers et les instabilités macroéconomiques. Depuis 2007 il s'est impliqué dans l’analyse de la crise financière actuelle, et en particulier dans la crise de la zone Euro.

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